jeudi 4 mai 2017

François sur le libertarianisme :
Même quand il a raison, il n’a pas raison




par Christopher A. Ferrara
SOURCE : Fatima Network Perspectives
Le 2 mai 2017

Dans un message récent à la session plénière de l'Académie Pontificale des Sciences sociales, François a déclaré cela sur « l'individualisme libertaire » :

« Enfin, je ne peux que parler des risques graves associés à l'invasion, à des niveaux élevés de culture et d'éducation dans les universités et dans les écoles, des positions d'individualisme libertaire. Une caractéristique commune de ce paradigme fallacieux est qu'il minimise le bien commun , c'est-à-dire « bien vivre » ou une « bonne vie » dans le cadre communautaire, et il exalte l'idéal égoïste qui propose trompeusement une « vie merveilleuse ».

L'auteur de cet éditorial est Monsieur Christopher A. Ferrara. Monsieur Ferrara est avocat de profession. Il agissait aussi comme collaborateur principal de Feu Père Nicholas Gruner, fondateur du Centre de Fatima, Fort Érié, Canada et ayant aussi des installations à Rome. Il est chroniqueur dans plusieurs autres sites catholiques dont Le Remnant Newspaper.

« Si l'individualisme affirme que ce n'est que l'individu qui donne de la valeur aux choses et aux relations interpersonnelles, et ce n'est alors que l'individu décide ce qui est bon et ce qui est mauvais, alors le libertarianisme, aujourd'hui à la mode, prêche que pour établir la liberté et la responsabilité individuelle, il faut recourir à l'idée de l’« auto-causalité ». Ainsi, l'individualisme libertaire nie la validité du bien commun car, d'une part, il suppose que l'idée même du « bien commun » implique la restriction d'au moins certains individus et de l'autre côté que la notion du « bien » prive la liberté de son essence ».

Jusqu'ici tout va bien. Le courant dominant du libertarianisme, ou du moins le plus organisé et militant, combine l'approche économique Autrichienne représentée par Ludwig von Mises, qui est essentiellement le capitalisme du laissez-faire, avec l'« éthique de la liberté » de Murray Rothbard, qui est réductible au « principe de non-agression » : c'est-à-dire que la loi ne devrait interdire que le vol (y compris la fraude) et la force physique et que les autres formes de comportement que les gens jugent immorales devraient être réglementées par des accords privés parmi ceux qui reconnaissent qu'elles sont immorales.

Cette version du libertarianisme, alors qu’il honore du bout des lèvres le bien commun, fait en sorte de le minimiser en le réduisant (comme l'a fait John Locke) à la somme de chaque « poursuite du bonheur » individuel sous quelque forme que ce soit. Il n'y a pour ces libertaires aucune conception globale du bien commun qui se reflète dans le droit public et les institutions, tout comme la loi de l'Évangile a été au cours de tous les siècles où le Commonwealth Chrétien était la norme sociopolitique.

L'Église a condamné cette forme d'individualisme hyper-capitaliste depuis le moment où elle est devenue dominante (voir l'encyclopédie sociale monumentale du Pape Léon XIII Rerum Novarum) et François a raison de faire écho à cette condamnation dans la mesure où il le fait fidèlement — pas tellement comme nous le verrons — et sans le chant socialiste auquel il est enclin.

En substance, ces libertaires rejettent le noyau de l'enseignement social Catholique : c'est-à-dire que le commerce et toutes les autres formes d'activité dans la société sont soumis à la loi morale supérieure énoncée et défendue par l'Église, qui n'est pas une question de « moralité personnelle » qui doit être suivie en privé par l'individu s'il en est si enclin, mais par plutôt la matrice même d'une société juste sous Dieu et qui doit se refléter publiquement et juridiquement. En d'autres termes, ils suivent la disjonction classique et faussement libérale entre la morale « publique » et « privée », qui a été la ruine de notre civilisation, comme l'ont avertie Papes après Papes aux XVIIIe et XIXe siècles dans une série d'encycliques sociales .

Malheureusement, comme il a l’habitude de faire, le Pape Bergoglio descend à la caricature et obscurcit la vérité. Il déclare :

« La radicalisation de l'individualisme dans les termes libertaires et donc antisociaux conduit à la conclusion que tout le monde a le « droit » de se développer en autant que son pouvoir le permet, même au détriment de l'exclusion et de la marginalisation de la majorité la plus vulnérable. Des liens auront à être coupés dans la mesure où ils limiteraient la liberté. En combinant à tort le concept de « lien » à celui de « contrainte », on finit par confondre ce qui peut conditionner la liberté — les contraintes — avec l'essence de la liberté créée, c'est-à-dire les liens ou les relations, familiales et interpersonnelles, avec les exclus et marginalisés, avec le bien commun et enfin avec Dieu ».

Ce n'est pas vraiment ce que veut dire le libertarianisme. Les libéraux ne proposent pas de réduire les liens entre les individus, ni de nier l'importance vitale des relations familiales et interpersonnelles ni le bien moral d'être concerné par « les exclus et les marginalisés ». Ils — surtout les Catholiques mal orientés parmi eux — répondraient avec colère (et ont réagi avec colère) qu'ils se soucient de toutes ces choses, mais tiennent simplement au fait que leur poursuite implique des questions de moralité privée et que le gouvernement n'a aucune affaire à s’« imposer » par voie de loi.

Encore une fois, ces libertaires adhèrent à la disjonction libérale moderne entre la morale « publique » et « privée » qui était complètement inconnue dans la Chrétienté et même chez les Grecs païens (comme on le voit dans une étude de la République de Platon et de la Politique d'Aristote et de l'Éthique de Nicomaque).

Pourtant, le Pape Bergoglio lui-même, suivant la ligne libérale post-Vatican II de se « concilier avec le monde moderne », rejoint les libertaires en rejetant la seule solution vraie au problème de l'individualisme radical : à savoir le gouvernement Chrétien qui a été renversé et détruit après les soi-disant Lumières et à l'ère de la révolution démocratique débutant en 1776 et 1789.

Comme le Pape Léon XIII a déploré dans son ancienne encyclique Immortale Dei (Sur la Constitution Chrétienne des États) :

« Il fut un temps où la philosophie de l'Evangile gouvernait les Etats. A cette époque, l'influence de la sagesse chrétienne et sa divine vertu pénétraient les lois, les institutions, les moeurs des peuples, tous les rangs et tous les rapports de la société civile. Alors la religion instituée par Jésus-Christ, solidement établie dans le degré de dignité qui lui est dû, était partout florissante, grâce à la faveur des princes et à la protection légitime des magistrats. Alors le sacerdoce et l'empire étaient liés entre eux par une heureuse concorde et l'amical échange de bons offices » « Organisée de la sorte, la société civile donna des fruits supérieurs à toute attente, dont la mémoire subsiste et subsistera consignée qu'elle est dans d'innombrables documents que nul artifice des adversaires ne pourra corrompre ou obscurcir. Si l'Europe chrétienne a dompté les nations barbares et les a fait passer de la férocité à la mansuétude, de la superstition à la vérité; si elle a repoussé victorieusement les invasions musulmanes, si elle a gardé la suprématie de la civilisation, et si, en tout ce qui fait honneur à l'humanité, elle s'est constamment et partout montrée guide et maîtresse; si elle a gratifié les peuples de sa vraie liberté sous ces diverses formes; si elle a très sagement fondé une foule d'oeuvres pour le soulagement des misères, il est hors de doute qu'elle en est grandement redevable à la religion ... »

« Tous ces biens dureraient encore, si l'accord des deux puissances avait persévéré... Mais ce pernicieux et déplorable goût de nouveautés que vit naître le XVIe siècle, après avoir d'abord bouleversé la religion chrétienne, bientôt par une pente naturelle passa à la philosophie, et de la philosophie à tous les degrés de la société civile x.

« C'est à cette source qu'il faut faire remonter ces principes modernes de liberté effrénée rêvés et promulgués parmi les grandes perturbations du siècle dernier, comme les principes et les fondements d'un droit nouveau, inconnu jusqu'alors, et sur plus d'un point en désaccord, non seulement avec le droit chrétien, mais avec le droit naturel ».

Pour le Pape Bergoglio et tous les autres ecclésiastiques libéralisés de l'époque post-conciliaire, le retour du Commonwealth Chrétien sous quelque forme serait impensable. En effet, ce n'est autre que Bergoglio qui a déclaré de façon infâme dans une de ses nombreuses entrevues désastreuses : « Les États doivent être laïcs. Les États confessionnels finissent mal. Cela va à l'encontre de l'Histoire. Je crois qu'une version de laïcité accompagnée d'une solide loi garantissant la liberté religieuse offre un cadre pour aller de l'avant ».

Ironiquement, François lui-même propose une vision sociale que les belligérants qu'il déplore trouveront tout à fait acceptable : l'état laïc qui résulte précisément des révolutions contre l'autel et le trône que les libertaires louangent mais que les Papes avant Vatican II ont condamnés d’une seule voix.

Plus d'ironie encore : le Pape Bergoglio, critique de l'individualisme radical et ardent défenseur du bien commun, appelle constamment à l'abolition totale de la peine de mort et même aux sentences à vie, qui pourtant défendent le bien commun en supprimant les prédateurs criminels de la société tout en échouant si remarquablement à exiger l'abolition mondiale de l'avortement, l'abattage massif d'innocents au service de la forme d'individualisme la plus extrême imaginable : tuer un autre pour que sa propre vie n’en soit pas accablée.

Pour cette raison, le même Pape qui invoque Dieu et le bien commun a refusé de s'opposer en Italie à la seule chose que les libertaires ont exigé partout : la légalisation du « mariage homosexuel ». En défense de son silence honteux face à cette manifestation abominable de l'individualisme radical qu’il prétend haïr, le Pape Bergoglio a offert l'excuse : « Le Pape n'interfère pas avec la politique Italienne. Au premier rendez-vous que j'ai eu avec les Évêques [Italiens] en mai 2013, voici l'une des trois choses que j'ai dites : « Avec le gouvernement Italien : occupez-vous en vous-mêmes ». Parce que le Pape est pour tous, et il ne peut pas s'engager dans la politique pratique et domestique d'un pays. Ce n'est pas le rôle du Pape ».

Comparez cette capitulation envers l'homosexualité active avec l'enseignement répété de Jean-Paul II sur l'obligation contraignante des Catholiques de s'opposer à la légalisation des « unions homosexuelles » pour voter contre elle si un des législateurs est un Catholique et pour résister à sa mise en œuvre dans la mesure du possible. Cependant, le Pape Bergoglio est tout à fait disposé à « interférer avec la politique Italienne » en ce qui concerne la politique d'immigration de l'Italie, le « changement climatique » et les autres causes libérales de gauche qu'il promeut sans cesse.

En outre, pour un Pape qui passe tellement de temps à déplorer les excès du capitalisme, Bergoglio semble remarquablement amical, même servile envers les puissants de l'ordre capitaliste mondial, avec avant tout George Soros.

Mais peut-être l'ironie suprême ici est que, alors que le Pape Bergoglio fustige la notion libertaire de la liberté parce que « les liens devraient être réduits dans la mesure où ils limiteraient la liberté », il a passé littéralement tout son pontificat à planifier la Sainte Communion et, en général, à « intégrer » dans la vie ecclésiale, les personnes vivant dans des « deuxièmes mariages » constituant l'adultère après avoir prétendu dissoudre le lien sacramentel de leurs vrais mariages par divorce civil. Même le Vatican II, dont le Pape Bergoglio définit son style comme un représentant « dirigé par l'esprit », a dénoncé la « peste du divorce », qui représente l'individualisme radical et qui a largement détruit le lien de famille qu'il prétend défendre contre les erreurs du libertarianisme. Pourtant, c'est précisément la peste du divorce que Bergoglio souhaite accommoder dans l'Église Catholique.

Les libertaires en colère ne peuvent pas percevoir cela dans leur fureur envers l'anticapitalisme professé par le Pape Bergoglio, mais c’est vrai néanmoins : avec des « ennemis » comme François, ils ont peu besoin d'amis au Vatican.

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